

Financer la nécessaire transformation numérique des États
Conduire la transformation numérique est devenu incontournable. En effet, elle répond à une tendance et à des aspirations irrépressibles à davantage d’expression directe au sein des populations. Réseaux sociaux obligent, les citoyens ont pris l’habitude de revendiquer, de donner leur avis et de commenter, parfois trop peut-être. Or, cette transformation installe des modalités de parole et de dialogue beaucoup plus en phase avec les modes de consommation de nos concitoyens, si l’on compare aux générations antérieures exerçant quasi-exclusivement leur citoyenneté autour du vote par exemple, dans le cas des démocraties. Et il y aura un effet d’alignement des retardataires sur les premiers à s’y être mis.
Non seulement les dispositifs portés par la transformation numérique rendent-ils le gouvernement plus audible aux citoyens, mais aussi bien plus efficace. Zéro papier, simplification de process, raccourcissement des circuits de validation, les projets de refonte en vue de la numérisation optimisent l’expérience du citoyen, comme l’est celle du client depuis un temps déjà. Sans oublier les perspectives d’allègement de la masse salariale des nombreuses administrations et collectivités impactées : financer cet effort promet un ROI substantiel. C’est donc un investissement.
Financer cette transformation implique plusieurs éléments
Les Etats doivent passer d’infrastructures pensées, notamment en Europe depuis les années 1980/90 pour un usage télécom, à des infrastructures cloud devant gérer des volumes de données sans comparaison. On ne connaît d’ailleurs pas encore l’impact de l’IA en la matière, et le cloud devra être suffisamment scalable pour anticiper les évolutions de la population et des usages futurs encore inconnus. Imaginons le changement de génération d’un réseau mobile et cela peut donner une vague idée de l’effort coûteux, chronophage et politiquement sensible que représente le déploiement et le financement de cette « facilité essentielle ». Même si, à l’usage, le cloud génèrera des économies.
Par ailleurs, les Etats sont sous pression budgétaire constante. Ils l’étaient déjà bien avant la crise du Covid19. Mais absorber le choc économique quasi-inédit qui va en découler amènera les grands argentiers nationaux à devoir davantage encore serrer les dents. Pour conserver la confiance des marchés de la dette tout d’abord, mais aussi pour rester dans les clous fixés par leur « espace de tutelle » (même si des aménagements seront consentis). Ils devront trouver les véhicules de financement les plus adaptés sans compromettre ni leur reprise, ni l’écosystème de confiance indispensable à leur survie.
Alors quelle ingénierie, pour quels véhicules ?
Avant la crise financière de 2008, les marchés étaient bien disposés envers le financement des infrastructures. Ils ne faisaient pas grand cas de son niveau de risque sur des maturités pourtant longues, en raison de l’abondance du crédit bancaire et de partenariats public-privé permettant à l’argent public de faire levier sur des financements privés en fonds et en dettes.
Mais les meilleures choses ont une fin, à commencer par les périodes d’« argent facile ». S’ensuivit une normalisation par une meilleure tarification du risque, sur fond d’une pression accrue sur les budgets d’investissement publics, d’une saturation des capacités d’endettement des utilities, d’une restriction de l’offre de crédit bancaire mais aussi d’une aversion des épargnants aux risques de long terme.
12 ans après, des opportunités existent cependant pour espérer contribuer à ce financement :
● L’épargne disponible, en Europe et dans une bonne partie du Monde ;
● La montée en puissance des fonds d’infrastructures et des fonds souverains, davantage en capacité à investir à long terme ;
● Des infrastructures devenues une classe mature d’actifs, intéressant les investisseurs institutionnels à la recherche de rendements indexés sur l’inflation, à condition que les régulateurs envoient des messages encourageants comme ils ont pu déjà le faire vers la transition écologique. Sachant enfin que les collectivités doivent rester capables de subventionner a minima pour garantir une rentabilité plancher à des projets connus pour produire un cash-flow limité ;
● Enfin la possibilité de structurer des solutions obligataires pour pallier la restriction durable du crédit bancaire.
Si le financement des infrastructures critiques à la transition numérique des États est un enjeu crucial, il ne résidera ni dans un « tout public », ni dans un « tout privé ». D’autant que cette transition préfigure à moyen et long terme une transformation plus large des Etats. Si celle-ci est restée timide jusqu’alors, les déploiements numériques vont petit à petit rendre tangibles ces évolutions dans leur ensemble. Toutes les forces vives seront donc les bienvenues pour en assurer la prise en charge.